Partie I : Traumatisme.
"- A table !"
Voix maternelle. Elle interpellait ses deux fils, l'un de sept ans à peine, l'autre de dix-sept ans tout juste. Dix ans les séparaient donc. Un véritable fossé entre les deux garçons. Au cours, de la journée, il était évident que ses deux enfants n'avaient que peu de contacts. Aucun centre d'intérêt commun, pas grand chose à se dire, surtout que l'ainé, Ronald, était de nature plutôt acariâtre. Il ne supportait rien et encore plus quand c'était la présence de son jeune frère.
Leeroy David Eastwood Fitzmartin.
Son demi-frère plus exactement. Fitzmartin était le nom de famille de leur mère. Eastwood, celui de l'ennemi. Ron portait celui de son défunt père, David Anderson. Oui, David. Sa mère, Amanda, avait eu la bonne idée en hommage à son mari perdu de donner son prénom en second patronyme à sa nouvelle progéniture. Cet acte n'avait fait qu'accentuer l'amertume certaine de l'ainé. La mère n'en avait d'ailleurs pas eu réellement conscience. C'est donc en toute sérénité qu'elle annonçait l'heure du repas.
Cette phrase exclamative était l'indication qu'il fallait se presser et prendre la direction de la cuisine. C'était le premier appel. Pourtant, au salon, Leeroy, surnommé Loyd, du haut de ses sept ans partait à l'opposé de la pièce. Il scrutait de ses yeux bleus les planches de parquet. Il détaillait entièrement la pièce du regard s'approchant lentement mais sûrement de la porte du hall d'entrée.
Le petit garçon recherchait activement quelque chose de blanc, petit, tremblotant et qui faisait un léger bruit aigü des plus adorables. Il se mordillait la lèvre d'anxiété de ne pas le trouver.
"-J'arrive, lança-t-il finalement."
C'était la réponse quasi-automatique, presque typique qui signifiait bien évidement : "Si je ne viens pas de suite je sais que tu vas m'engueuler, mais j'ai mis à faire maintenant dans l'absolu. Fiche moi la paix pour l'instant et commence à crier." Deux mots pouvaient remplacé tout cela et éviter adroitement le conflit. Bien sûr dans sa tête d'enfant certains termes étaient édulcorés mais a à peine sept ans, il avait déjà conscience de la magie des mots. Il ne s'attachait déjà plus à ce qu'il entendait mais à ce que les termes sous entendaient.
Les phrases de tous regorgeaient de sens caché et de non-dits et ça, sa curiosité d'enfant adorait le traquer, le dénicher et l'analyser. Oui, l'enfant aimait observé le spectacle quotidien du va-et-vient des autres. Son beau père, sa mère et... Son frère.
Il finit par lever la tête du parquet alors qu'il continuait activement sa rechercher en réfléchissant et son regard azur allait se porter sur la fenêtre alors qu'il était sur le seuil de la porte. De là, il pouvait voir son frère à moto dans le jardin. Loyd n'apprécia guère le sourire qu'il vit sur les lèvres de son tortionnaire. Leurs regards se croisèrent et comme souvent, il ressentit un malaise certain qu'il ne pouvait expliqué. Là, lui prit l'envie d'aller vérifier son ressentiment en sortant dans le jardin, même s'il hésita vaguement, il pleuvait des cordes. Il devait faire froid dehors, mais tant pis.
Il y avait d'abord la sensation d'être la personne de trop, puis d'être une minable petite créature, tellement que son ainé se moquait de lui par ce sourire et enfin dans le fond de ses yeux verts, il apercevait sans pouvoir la saisir une lueur toute particulière. Une insistance à vous brûler la peau. Quelque chose de presque écœurant. Un vague goût d'interdit. Mais lui il ignorait que les pensées de son frère étaient tout à fait gerbante. Il n'allait en comprendre l'ampleur que d'ici quelques années. A treize exactement. Pour l'heure, il passa dans le hall d'entrée, ouvrit discrètement la porte tandis que sa mère d'une voix plus forte et autoritaire lâchait :
"-Venez manger !
"-Oui, oui, j'arrive."
Le double "oui" pour appuyer sa réponse était synonyme de "Repoussons l'échéance." Il tira en tenant fermement de toute sa force de petit garçon la lourd de porte et se glissant dans le petit jardin devant la maison familiale. Leeroy découvrit son frère à moto, roulant doucement sur l'allée de graviers où garait normalement son beau père la voiture, mais elle n'y était pas puisqu'il travaillait actuellement et en avait eu besoin. Ronald avait donc tout le loisir de rouler. Il eut un léger rire en voyant l'air peur rassuré de son cadet. Le sourire de l'adolescent s'élargit quand il le vit s'approcher avec prudence, gardant pourtant une sorte de distance de sécurité.
"-Tu cherches quelque chose, Lody ? Avait demandé son frère sur un ton pas réellement rassurant, surtout relativement moqueur avec une pointe de sadisme."
Lody, ça n'était pas un surnom affectueux. Ou plutôt, leur mère le surnommait ainsi mais dans la bouche de son ainé, ça n'était pas un mot tendre. Ca n'exprimait pas l'affection. Non, c'était autre chose. Le terme paraissait plus amer. De la jalousie en partie et puis quelque chose de vaguement dégradant. Juste pour se foutre de lui et quand Ron disait cela, Loyd serait automatiquement les poings, ses dents grinçaient presque.
Néanmoins, ce n'était pas réellement le moment de jouer les lapins pris dans les phares d'une voiture. Il ne devait pas laisser la peur dicter ses actes et surtout si son frère voyait qu'il était effrayé, il allait en jouer et enfoncerait d'avantage le couteau dans la plaie. Il lui fallait prendre l'air le plus neutre du monde. Loyd s'avança alors un peu plus, se mettant au bord de l'allée des voitures et fixa son frère longuement.
"-Je cherche Yûki, tu sais mon chaton. Celui que Maman m'a ramenée avant hier."
Ronald poussa un imperceptible petit rire. Il le regardait en souriant largement. Plus que jamais en vérité avec un sadisme plus présent que d'habitude. Cette perspective fit déglutir de manière plus que bruyante. Son corps tremblait vaguement. La peur gagnait peu à peu son ventre. Qu'avait-il prévu de faire maintenant ? Il ne savait pas mais Ron savait tout. Il avait des choses bien précises et bien construites en tête et c'était le plus effrayant.
Il vit son frère tendre le doigt vers le bout de l'allée. Au fond, contre la porte du garage, terrorisé, roulé en boule sur lui même, la petite créature au pelage blanc miaulait doucement alors qu'il scrutait la moto de ses yeux verts, les pupilles dilatées.
"-... Laisse le tranquille Ronald. Il a peur à cause de ta moto."
Son ainé ricana en démarrant la moto et marmonna quelque chose comme "je vais le chercher." Pourtant, le petit rictus moqueur qu'il eut ne le rassura pas et pour cause. Alors que Leeroy s'approchait de son chat, son frère en faisait de même.
Dans les secondes qui suivirent, tout se passa réellement vite. Bruit de pneus, freinage d'urgence, la pluie gicla et la moto alla s'encastrer dans la porte du garage. Le chaton fut évidement écrabouiller par celle-ci sur le coup. Quant à son demi-frère, il se redresse, nulle choqué, ni effrayé, le plus naturellement du monde, une sorte de léger sourire flottant sur ses lèvres.
Loyd lui était sous le choc. Il avait vu l'intégralité de la scène. Moment qui resta toujours gravé dans sa tête d'enfant de sept ans et c'est quand son ainé passa à son niveau pour rejoindre la maison, qu'il comprit le problème principal. La main de son demi frère alla se perdre dans ses cheveux blonds, tapotant sa tête et c'est à ce moment précis qu'il comprit, qu'il l'avait fait irrémédiablement exprès.
Partie II : Criminel.
Une journée tout à fait normal pour le collégien de treize ans que Leeroy était devenu. Un jour de cours dépourvus de couleurs. Ce Lundi n'aurait jamais dû dénoter des autres jours. Tout aurait normalement noyé le jeune homme dans ses mouvements de masses, de foule anonyme, à l'école, dans la rue puis dans le bus. Cela aurait dû être une journée où rien ne sortirait de l'ordinaire.
Il aurait vu les mêmes visages, fait les mêmes choses. Un quotidien morne. C'était une existence qui le lassait. Il n'avait jamais trouvé un quelconque plaisir en l'école et s'y ennuyait à mourir. Il n'en voyait pas le but et le système scolaire était plutôt étouffant à ses yeux. Pourtant, il n'avait pas encore eu le courage de franchir l'étape de sécher les cours et toutes ses sortes de choses.
Il n'était pas pour autant en échec scolaire à cette époque. Il travaillait assez régulièrement poussé par ses parents. Loyd était encore un enfant. L'autorité l'effrayait et sa grande part d'innocence lui permettait de craindre et d'extrapoler les remarques de ses parents ainsi que les sanctions. Il était jeune et voyait la moindre punition comme une chose angoissant et inquiétante. Naïf et immature, il restait docile et enfouissait un cumul de frustration.
Loyd avait donc eu une journée bien calme et il avait été bien sage. Même si une foule de choses bouillait en lui, il demeurait l'enfant sage. Etant totalement formaté, cette journée aurait dû être à son image. Si semblable aux autres et pourtant, il ne savait pas encore que cette journée casserait quelque chose en lui. Il n'avait pas conscience que c'était peut-être ce jour-là qu'il perdrait une forme d'insouciance.
Une vie paisible ne tient pas à grand chose. Il suffit d'une bonne routine, d'un quotidien bien rodé et tous les évènements ainsi que le temps coulent et passent lentement. S'il était permis à l'être humain d'éviter toutes les cassures de l’existence, serait-il plus simple de vivre ? Plus doux, plus agréable ? Peut-être oui. Mais personne ne pourrait jamais vérifié puisqu'aucune vie n'est ainsi. Tandis que ceux qui ont peur que l'ennuie les guettent se réjouissent de petits malheurs et ceux qui les pleurent.
Et lui, il ne cherchait rien. Il errait sans réel but de la maison au lycée, veillant à éviter les problèmes alors qu'à l'intérieur l'ennui le tuer. La frustration et les contrariétés, l'envie de hurler et de frapper, casser quelqu'un ou quelque chose, il les ressentait. Toujours plus présents en lui, ces sentiments criminaux. Il avait envie de dégénérer, de passer et dépasser des limites. Tout détruire. Tout briser. En mille morceaux et piétiner les restes.
Plus de règles. Faire disparaitre cette migraine constante. Il aurait voulu soulager ses pulsions violents et cracher son venin, s’époumoner. Rien en sortait pourtant. Il suivait, silencieux et la vie continuait et le temps défilait, alors que lui, il pourrissait. Rongé par les non dits et les actes manqués, nous ne sommes que l'ombre de nous même. Et lui, que représentait-il ?
Pas assez brillant pour être l'enfant modèle, l'école n'était pas son fort. Des notes moyens, pour une intelligence moyenne. Son seul talent était d'être un minimum drôle. Il n'était pas le premier de la classe. Loyd travaillait pour des résultats passables. Il avait une intelligence pratique. Il savait agir et se débrouiller seul. Il était plutôt spirituel et avait une bonne mémoire pour les chiffres. Un élève modeste. Contrairement à son demi frère, il était pas l'enfant prodige. Il n'aurait pas voulu l'être mais il sentait que ses parents étaient déçus qu'il ne le soit pas.
Ce fut d'ailleurs son ainé qui l’accueillit en arrivant à la maison ce soir-là. Leur mère et son père étaient sortis pour aller ensemble au cinéma. Il fut surpris d'être seul avec son frère et Leeroy avait toujours eu peur de lui. C'est pour cela qu'il fila directement dans sa chambre pour faire ses devoirs. L'éviter à tout prix, depuis l'affaire du chaton, était devenu son quotidien. Oui, il avait peur de ce type qui vivait sous son toit.
Il aurait dû lui être familier et proche et pourtant, il n'aimait pas les regards qu'il lui lançait du coin de l'oeil. Il y avait quelque chose dans ces derniers qui lui glaçait le sang. Loyd ne comprenait pas et ne pouvait imaginer les pensées derrière ce regard mais il n'avait d'une certaine manière aucune envie de les savoir. Il suffisait qu'il voit cette petite lueur, si criminel, dans ses yeux pour que la montée d'une indescriptible nausée se fasse sentir et là, il était seul avec lui.
Cela n'arrivait que très rarement mais ce soir-là, c'était le cas. Il ferma la porte de sa chambre et met les écouteurs de son mp3 sur ses oreilles alors qu'il lisait sur son lit après s'y être allongé. La tentative du pré-adolescent pour se couper du monde et de la situation était presque désespéré. Il sentait son ventre se tordre, lui criant qu'il était seul avec ce homme qu'il ne connaissait pas, qui était un étranger, qu'il savait violent, qui le regardait bizarrement et qui avait l'air de le haïr. Il était fait comme un rat.
Quelques heures passèrent. Le moment du repas arriva. Il était l'heure. La main virile de son ainé vint taper lourdement contre la porte de chambre. Loyd avait de la musique dans les oreilles et le son était plutôt fort. Il n'entendit pas. Un second coup retentit dans le couloir. Plus fort et plus sec que le premier, il était le signe du manque de patience et de la rage montante de son demi frère.
Pourtant, il n'entendait toujours pas. Tout à sa lecture, il s'était coupé dans un univers à part afin d'éluder la peur. Il n'écoutait que la musique et ne voyait que les caractères noirs sur la page plage. La porte vola contre le mur. Ron ouvrit la porte de son cadet d'un coup de pied violent. Du plâtre tomba à terre. Loyd sursauta et retira brusquement les écouteurs de ses deux oreilles. Son livre tomba à terre, alors que son coeur tambourinait dans sa poitrine. Il le dévisageait effrayé.
Il ne loupa d'ailleurs pas le vague rictus moqueur de son frère. Celui-ci s'approcha lentement. Très lentement. Avec une douceur et une fluidité de mouvement presque fantomatique. Cette avancé était peut-être plus flippante que la porte fracassée contre le mur. Elle était angoissante. Il n'avait plus l'air si énervé, ni agacé comme en entrant. Non, il avait l'air juste...
Leeroy ne sût pas quel mot utilisé pour compléter sa phrase.
"-Alors comme ça je te fais peur, souffla presque Ron, alors qu'il se tenait à présent tout proche de lui, devant le lit puis il se pencha pour se mettre à sa hauteur."
Leeroy déglutit anxieusement et son dos se fit droit. Il était définitivement crispé et il ne put sortir le moindre mot. Il sentait le souffle de son frère contre sa joue. Il était rauque, presque haletant et lui, il le voyait si effrayant à côté de lui, sans la moindre défence. Qu'allait-il lui faire ?
Il comprit que le châtiment allait tomber lorsqu'il entendit son petit rire significatif. Ce fut comme une petite mort. Ron pressa ses lèvres contre les siennes. Loyd ne bougea pas, les yeux ouverts. La langue de son ainé entra brutalement dans sa bouche, un passage forcé qui le fit buter contre ses dents. Il joue avec la sienne avant de s'écarter avec un sourire malsain et quitta la pièce sans rien ajouter de plus.
C'est à ce moment-là qu'il fut capable de terminer sa phrase. Il avait l'air juste destructeur et Leeroy partit vomir.
Partie III : Présentement.
A six heure tapante, le réveil retentit dans sa chambre. Il l'arrêta en balançant l'objet contre le mur adjacent et retourna se terrer au fond de ses draps. Enroulé dedans, il y était bien au chaud alors il ne tarda pas à se rendormir. Leeroy, ses cheveux à présent teints de bleu, sécha ainsi une bonne matinée de cours. Et alors ?
L'adolescent de dix sept ans était en échec scolaire depuis quelques temps maintenant. Rare était les jours où il se présentait en cours. Jamais là et quand il se rendait au lycée, c'était pour dormir sur son bureau. Il n'écoutait rien, ne faisait rien. Lors d'un contrôle, il était chose commune que, parce qu'il n'en avait ni l'envie, ni la motivation, il ne prenne pas même la peine de lire le sujet.
Il fit donc une bonne grâce matinée. Personne n'était à la maison. Ses parents étaient partis en vacances dans une île du Pacifique et son frère ainé avait quitté le domicile familial à son grand soulagement. Il pût donc sécher les cours à sa guise et ne se réveilla que pour le repas de midi qu'il mangea devant la télé. Loyd avait pensé aller en cours l'après-midi mais des amis à lui l'invitèrent à une petite sortie. Il renonça donc aisément à l'idée de s'instruire et partit pour la journée.
Il fit la fête toute la nuit et ce n'est qu'au petit matin qu'il rentra chez lui pour dormir. C'était une journée type de Leeroy. La vie était douce et belle. Il vivait presque seul. Il était tout à fait tranquille. Il ne pouvait faire que bon lui semblait alors que le redoublement lui pendait au nez mais l'indifférence la plus totale de ses parents l'arrangeait largement tout comme elle le desservait. Il faisait ce qu'il voulait.
Cependant, dans le courant du mois de novembre, son absentéisme se stabilisa lorsqu'il vit une famille emménageait en face.
Lane était d'un an son cadet. Ils se connaissent et s’entrecroisaient depuis la maternelle. Leurs échanges n'étaient jamais tendres ou amicaux. Opposés, ils ne s'entendaient sur presque rien et passaient leur temps à se chamailler lorsqu'ils se voyaient. Cette emménagement en face de chez lui fit qu'ils se virent beaucoup plus. Ils se croisaient en prenant le journal ou en sortant les poubelles. Des bêtises de ce genre-là.
Par la suite, Leeroy ne comprit pas pourquoi soudainement, il avait commencé à se désintéresser de ses sorties avec ses amis et avait hâte de prendre le bus pour aller au lycée. Même s'il n'y faisait rien là-bas et qu'il séchait les cours quelques parts dans un coin, il aimait le trajet du matin et du soir. Les trajets de bus en compagnie de Lane.